L’appel à la pensée complexe pour mieux récupérer et guérir
La pensée, centrée sur la complexité, propose un changement de paradigme face à une vision mécaniste, réductionniste et linéaire du soin de santé. Pour l’ostéopathie moderne, ce changement est non seulement pertinent mais nécessaire. Le corps humain, les douleurs, les troubles fonctionnels, l’environnement dans lequel la personne vit, son histoire psycho-émotionnelle: tout est complexe, dynamique et interconnecté.
L’ostéopathie, fondée sur une approche globale et systématique du corps humain, rejoint intuitivement la vision d’Edgar Morin auteur de La complexité humaine.
Le paradigme simplificateur: critique et dépassement
En premier lieu, Morin critique le paradigme classique fondé sur la simplification. En médecine, ce paradigme se manifeste par les principaux points suivants:
La spécialisation excessive (une articulation, un organe, une cellule)
La séparation entre le corps et l’esprit
La recherche de causes uniques à des problèmes multifactorielles
Application en ostéopathie:
Dans une lombalgie chronique, par exemple, un traitement uniquement biomécanique (focus sur la vertèbre lombaire) risque d’ignorer, dans certains cas, les dimensions émotionnelles, les habitudes posturales, la nutrition, ou les traumas passés. Une pensée simplifiante mène à une perte de sens thérapeutique.
La pensée complexe: un nouveau cadre
Morin définit la complexité comme « ce qui est tissé ensemble ». Penser complexe signifie :
Relier les éléments d’un tout.
Prendre en compte les interactions, rétroactions, et boucles.
Intégrer incertitude, contradiction et changement.
Application ostéopathique :
Le corps n’est pas un casse-tête figé, mais un système vivant en constante adaptation. Une tension myofasciale peut être la manifestation visible d’un déséquilibre plus global (digestif, hormonal, émotionnel).
Le tout est dans l’élément
Morin explique que chaque partie d’un système contient le tout — comme un hologramme. En ostéopathie, ce principe trouve écho dans :
Le travail des zones réflexes (zones podales, viscérales ou crâniennes).
L’importance accordée à chaque structure, même périphérique.
Exemple clinique :
Une restriction de mobilité du foie peut influencer la posture globale, notamment la charnière dorsolombaire, et provoquer des douleurs éloignées de la zone hépatique.
L’auto-éco-organisation du vivant: une vision dynamique du corps
Morin insiste sur la capacité des systèmes vivants à s’auto-organiser en interaction constante avec leur environnement. Le corps humain est un système auto-éco-organisé : il se construit, se répare, s’adapte, mais toujours en lien avec son milieu (physique, social, affectif).
Application ostéopathique :
Un traitement efficace stimule les ressources d’autorégulation de la personne, au lieu d’imposer une correction externe. La palpation devient un dialogue avec l’intelligence tissulaire.
Le dialogue: concilier les opposés
La pensée complexe accepte par exemple que deux logiques contraires puissent coexister : ordre/désordre, santé/pathologie, structure/fonction, mécanique/émotionnel.
Dans une séance:
Un même symptôme peut être à la fois signe d’adaptation et de dysfonction.
Une douleur peut être à la fois locale et systémique.
Une amélioration clinique peut passer par la libération d’un déséquilibre longtemps compensé.
L’incertitude et la non-linéarité: accueillir l’imprevisibilité
Dans La complexité humaine, Morin affirme que le réel est imprévisible. En ostéopathie, les mêmes techniques peuvent donner des résultats différents selon les individus. Il n’existe pas de protocole universel.
Application concrète :
Un traitement viscéral du côlon peut soulager une douleur sacro-iliaque chez un patient, mais aggraver temporairement les symptômes chez un autre. L’ostéopathe doit apprendre à « lire » la réaction du corps et s’y adapter.
Le tissu des relations: une écologie de soin
Morin place les relations au cœur du vivant. L’ostéopathe ne traite pas un corps isolé, mais une personne en lien avec son environnement, ses émotions, sa biographie.
Exemple :
Un patient souffrant de douleurs cervicales peut vivre une surcharge émotionnelle (stress professionnel, deuil, anxiété) qui s’exprime somatiquement par des tensions cervicales.
Approche ostéopathique :
Inclure l’écoute, la reformulation, la pédagogie et une présence bienveillante dans l’acte thérapeutique.
Le paradigme du soin global: intégration de la complexité dans le geste thérapeutique
Dans la pratique quotidienne, la pensée complexe se traduit par :
Une évaluation enrichie : qui explore l’histoire de vie, les événements significatifs, les habitudes, la sphère émotionnelle, l’environnement professionnel ou familial.
Un diagnostic ostéopathique global : non limité à une zone douloureuse.
Un traitement multi-niveaux : structural, viscéral, crânien, circulatoire, respiratoire, selon le besoin.
Un suivi adaptatif : qui intègre les retours du corps et du patient, avec une posture d’humilité.
La collaboration thérapeutique
Morin plaide pour une pensée transversale, interconnectée, refusant l’isolement des savoirs. En ostéopathie, cela implique :
Collaborer avec des psychologues, médecins, nutritionnistes, ergothérapeutes, coachs ou kinésithérapeutes toujours pour le bénéfice de la personne qui demande et reçoit le soin.
Sortir du dogme ostéopathique pour mieux servir le personne.
Créer un tissu thérapeutique cohérent.
Développer une pensée vivante
L’ostéopathe formé à la complexité :
Ne cherche pas de « recettes ».
Travaille avec des hypothèses, des tests, des boucles de rétroaction.
Sait se remettre en question.
Apprend en permanence par l’expérience et l’écoute.
Proposition :
Intégrer l’enseignement de la pensée complexe dans les écoles d’ostéopathie (sémiologie holistique, épistémologie, éthique du soin, communication interpersonnelle, adaptation clinique, etc).
L’éthique de la complexité: vers une soin responsable et humain
Morin insiste sur une éthique du lien, du respect de la vie, de la conscience de notre impact. Pour l’ostéopathe :
Cela signifie respecter la singularité du patient.
Ne pas surinterpréter ni imposer une vision rigide.
Favoriser l’autonomie, l’écoute du corps, et la prévention.
La pensée complexe de Morin ne fournit pas de solutions clés en main. Elle propose un cadre, une posture mentale, une manière d’être au monde — et donc au soin. L’ostéopathe, artisan du lien, praticien du vivant, devient un exemple incarné de cette complexité appliquée.
Il ne s’agit plus de “corriger” un corps comme on répare une machine, mais d’accompagner un être dans sa quête d’équilibre, avec tous les outils perceptifs, manuels, intellectuels, émotionnels et humains à disposition.
La lecture de La complexité humaine d’Edgar Morin n’est pas seulement un exercice intellectuel : c’est un appel à repenser profondément la manière de soigner. Pour l’ostéopathe ou le thérapeute moderne, cette approche apporte une boussole précieuse. Elle nous rappelle que nous ne manipulons pas des segments anatomiques, mais des histoires humaines en mouvement, tissées de relations, d’émotions, de structures et de sens.
En embrassant la complexité, l’ostéopathe devient plus qu’un technicien du corps mais bien un accompagnant du vivant.
Laurent-Olivier Galarneau D.O.
Questions fréquentes
Que signifie la « complexité » en santé et en ostéopathie ?
La complexité désigne l’interaction permanente entre systèmes (nerveux, musculo-squelettique, viscéral, hormonal, émotionnel, environnement). Un même symptôme peut avoir des causes multiples et évoluer selon le contexte. L’ostéopathie considère ces relations pour comprendre comment et pourquoi le corps s’adapte — et où il se bloque.
En quoi une approche systémique change la prise en charge ?
Plutôt que de cibler uniquement la zone douloureuse, l’approche systémique recherche les facteurs contributeurs (mobilité, respiration, digestion, sommeil, charge mentale, antécédents). Elle relie les déséquilibres entre eux pour agir sur les causes et non sur le seul symptôme, ce qui améliore la durabilité des résultats.
Comment se déroule une séance intégrant la complexité ?
Elle commence par un entretien précis (histoire du problème, contexte de vie) et des tests qui explorent les liens entre régions et fonctions. Les techniques manuelles sont adaptées au profil du patient, et un plan d’actions personnalisées (mobilité, respiration, hygiène de vie) soutient l’auto-régulation entre les séances.
